Adrien Duvand

Lettre autographe signée, Paris, 27 avril 1877, à Jules Lermina.

Très intéressante lettre relative à son roman-feuilleton Les Nouveaux Mémoires du Diable, devenus Les Assommoirs du Grand Monde. Ce roman devait paraître dans la Presse mais son directeur, Jean-Hubert Debrousse, pris de scrupules face aux hardiesses de l'œuvre décide de censurer l'œuvre.

La nouvelle est annoncée dans La Presse du 28 avril 1877 : « Nos lecteurs ont été surpris, à juste titre, de ne pas trouver dans les colonnes de la Presse la suite du prologue des Nouveaux Mémoires du Diable. Nous leur devons l'explication de ce fait. La correspondance suivante a été échangée entre le Directeur de la Presse et l'auteur : Cher monsieur, Vous n'ignorez pas qu'absent de Paris depuis quelque temps, je n'avais pas pris personnellement connaissance des Nouveaux Mémoires du Diable. Je dois vous déclarer qu'à la lecture du premier feuilleton, j'ai été saisi de scrupules qui m'ont obligé à suspendre, par dépêche télégraphique, la publication de votre roman et à réclamer communication du manuscrit. Je viens d'en achever la lecture. Les Nouveaux Mémoires du Diable sont, je n'hésite pas à l'affirmer, une œuvre originale, intéressante à tous les points de vue et qui révèle un talent de premier ordre. Mais cette œuvre contient des hardiesses de situation et de style qui me paraissent incompatibles avec les allures et l'esprit général de la Presse. Je me vois donc forcé de réclamer de vous de nombreuses coupures et de profondes modifications, au point de vue non de la donnée générale dont la moralité est indiscutable, mais des audaces d'une forme trop réaliste. Je tiens trop à votre collaboration pour ne pas espérer que nous puissions arriver facilement à une entente. Agréez, etc. J. Débrousse. »

A cette lettre, M. Jules Lermina a répondu : Mon cher directeur, Il ne m'appartient pas de combattre vos scrupules. Les Nouveaux Mémoires du Diable sont une peinture vraie de la société vicieuse. J'ai tenté, je l'avoue, la contre-partie d'une œuvre célèbre, voulant peindre ce que j'appellerai les assommoirs du grand monde. Vous comprendrez que la forme et le fond sont liés à ce point que l'une ne peut être modifiée sans que l'autre en soit compromis. Les coupures et les changements que vous m'indiquez équivaudraient à une véritable mutilation, et l'écrivain doit dire de ses œuvres : Sint ut sunt aut non sint. Agréez, etc., Jules Lermina.

À la suite de ces pourparlers, une convention nouvelle est intervenue entre le directeur de la Presse et l'auteur. M. Jules Lermina a retiré le manuscrit des Nouveaux Mémoires du Diable, mais sa collaboration reste acquise à la Presse, et nous nous sommes assuré la publication d'une œuvre nouvelle dont nous ferons connaître le titre, dès la semaine prochaine, à nos lecteurs. »

Le 6 mai, la publication des Nouveaux Mémoires, devenus les Assommoirs du Grand Monde, est annoncée dans La Lanterne. Le roman apparaît dans le journal dès le 27 mai 1877.

Paris 27 avril 1877

Mon cher M. Lermina

Je vois ce soir dans la Presse que les nouveaux mémoires du diable cessent de paraître par suite de scrupules de M. Débrousse.

Je vous propose de me les donner pour la Lanterne avec le titre :

Les Assommoirs du Grand monde.

Si cela vous va c'est marché fait à quinze centimes la ligne.

Seulement, il me faut une réponse avant midi demain samedi, parce que si nous traitons je veux faire faire immédiatement affichage par Jules Chéret.

Il faudrait donc me répondre télégraphiquement sur l'acceptation et me donner en plus la scène à effet que vous voulez que Chéret reproduise ou traduise sur son dessin - affiche.

Cordialement à vous,
Adrien Duvand
Rédacteur en chef de la Lanterne

Je regrette infiniment de ne pas vous voir parce que un retard de 24 heures empêcherait l'affaire.

[en marge : Répondre boulevard de Clichy / Cité du Midi 5.]