Antoine Bourdelle

Lettre autographe signée, Paris, 22 avril 1902, 4 pages in-8°, à Raphaël Gaspéri.

Belle lettre sur la première œuvre majeure de Bourdelle, rédigée quelques jours après le vernissage du Salon organisé par la Société nationale des Beaux-Arts.

Lors de cette édition, il y présenta son monument aux morts de la guerre de 1870 de Montauban. L'origine de cette œuvre remonte à 1893 lorsque Bourdelle entre comme praticien dans l'atelier d'Auguste Rodin et participe au concours pour le Monument aux morts de la guerre de 1870 à Montauban, sa ville natale. Alors qu'il fait face à une rude opposition après avoir présenté sa maquette, il obtient finalement le projet grâce à l'appui de Rodin. Achevée en 1902, la sculpture sera présentée au Salon avant d'être inaugurée le 14 septembre à Montauban. En 1970, sa « Guerre » est transféré place Bourdelle.

On remarquera également la belle critique de Thilda Harlor publiée dans le journal féministe La Fronde qui note, avant d'encenser le Persée de Camille Claudel : « On y saluera l'admirable monument de Bourdelle : Hommage aux morts, aux combattants et serviteurs du Tarn-et-Garonne (Guerre de 1870-71). C'est un élan superbe, d'une rare puissance. Rien de fixé, de tassé. Pourtant rien ne trébuche. Les masses ont un équilibre impeccable. » (La Fronde, 19 avril 1902).

Dans sa lettre adressée au peintre Raphaël Gaspéri, il mentionne l'élogieuse critique d'Arsène Alexandre pour le Figaro : « […] La nouveauté d'arrangement consiste en ceci qu'une partie est exposée dans le jardin extérieur au Palais. N'omettez point d'y aller, car vous manqueriez sans cela quelques-unes des œuvres capitales : le considérable et puissant groupe de la Guerre, par M. Emile Bourdelle, œuvre de long effort, de magistrale réussite, qui achèvera de mettre cet artiste au premier plan […] » (Le Figaro, 19 avril 1902).

Il ajoute que le peintre Eugène Carrière et le couple Besnard (Albert et Charlotte) « ne s'est pas détaché de [sa] (guerre) de deux après-midi. » Son ami Carrière ajoute même que lorsque l'on « a fait une telle œuvre, il faut se foutre de tout ! critiques ou non - pour ou contre. »

Enfin, il souligne le silence de ses camarades : « Les bons camarades ne m'ont pas dit un mot - ils me fuient c'est très bien. Aussi je ne suis pas gentil c'est vrai de leur foutre un tel ensemble : architecture et sculpture qui ne font qu'un. »

22 Avril 1902 Paris

Cher Monsieur Gasperi,

Reçu les plâtres et vous en remercie bien. Ils sont d'un caractère très attachant et d'une belle ampleur de vision.

Je vous remercie profondément de votre aimable attention. J'ai été très heureux pour votre toile, je me promets le plaisir de l'aller analyser au Salon un de ces matins. Je vous enverrai les articles qui pourront servir à la conférence que vous projetez si aimablement pour mon œuvre.

A Alexandre (Figaro) me nomme en tête de la sculpture et en grands termes.

Je vous enverrai les coupures des Salons, on commence et la période électorale est mauvaise à l'art.

Carrière et les Besnard - mais Carrière surtout ne s'est pas détaché de ma (guerre) de deux après-midi.

Il m'a fait des éloges inoubliables. En disant quand on a fait une telle œuvre, il faut se foutre de tout ! critiques ou non - pour ou contre.

Tant pis - vous nous avez donné un chef d'œuvre et vous êtes une âme - de même Besnard, un de grand talent que je ne connais que de vue - m'a crié son admiration et m'a dit que c'était la plus belle sculpture moderne.

Les bons camarades ne m'ont pas dit un mot - ils me fuient c'est très bien. Aussi je ne suis pas gentil c'est vrai de leur foutre un tel ensemble : architecture et sculpture qui ne font qu'un.

Bien à vous
Bourdelle

Et merci.