Eugène Scribe

Lettre autographe signée, Château des Montalais (Meudon), 31 mai 1836, sur papier à son chiffre, adressée à Louis-Émile Vanderburch, à propos de leur pièce Clermont, ou Une femme d'artiste qui sera représentée au théâtre du Gymnase le 30 mars 1838.

« En vérité il n'y a presque plus rien à y faire et si vous écrivez de même le second vous ne me laisserez pas de la place pour travailler » Il lui adresse ensuite toutes les modifications qu'il souhaite.

Rare lettre qui témoigne du processus créatif d'une pièce qui connut un grand succès.

D'après la Revue du Nord (avril 1838) : « M. Poirson a fait une bonne acquisition dans Clermont ou une femme d'artiste, par MM. Scribe et Vanderburck. Nous ne donnons pas l'analyse de cette pièce que tout Paris a voulu voir, et qui obtiendra vraisemblablement un grand nombre de représentations, grâce à l'originalité de Bouffé. »

La Revue d'histoire littéraire de la France (1921) précise : « Il est vrai que le seul vaudeville de l'année Clermont ou une femme d'artiste connut un accueil des plus sympathiques et fut cause d'une agréable émotion pour le parterre. [...] À lire comme à l'entendre, Scribe restait divertissant et agile, c'est-à-dire ce qu'il avait toujours été, et ne gagnait ni sensibilité ni attendrissement, c'est-à-dire ce qu'on commençait à réclamer de lui. »

Montalais ce 31 mai 1836

Très bien, mon cher ami, très bien. Je ne reçois qu’aujourd’hui votre premier acte qui m'arrive par la diligence et que je me suis empressé de lire - En vérité il n'y a presque plus rien à y faire et si vous écrivez de même le second vous ne me laisserez pas de la place pour travailler -

Je vois seulement un peu plus d’intérêt à mettre dans la manière dont le peintre a connu et épousé sa femme. Il faut aussi pour que le premier acte (le commencement du moins) ait un peu d’intérêt de curiosité, qu'il y ait quelque chose qu'il cache à sa femme un billet à payer, voilà pourquoi il travaille fort et il a toujours peur de ce maudit billet dont l’échéance est arrivée et qu'il ne voit pas paraître - c'est le vicomte qui en est le porteur et qui le lui rend au lieu de lui prêter de l'argent - cela vaut mieux je veux encore trouver une petite scène d'intérieur et de bonheur conjugal entre le mari et la femme ou il se vantera de son aisance, de sa fortune, des sommes immenses qu'il gagne... interrompu par le coup de sonnette qui lui fait craindre que ce ne soit son créancier.

Tout cela contrastera avec la scène ou il avoue à sa femme après le départ du vicomte, la gène ou il se trouve.

Tout cela n'est rien - cela me regarde - [...] - sans vous tuer cependant et je vous répond que j'aurai bien vite arrangé tout ce qui reste à faire car ce ne sont que des raccords -

Le caractère du blaireau, de Victorine et de la femme sont très bien - le vicomte n'est peut-être pas assez gant jaune je tacherai d'y pourvoir - mais je vous remercie de nouveau de ce que vous m'avez envoyé je ne suis pas habitué à de si bons collaborateurs et ma tâche serait trop facile s'ils travaillaient tous comme vous.

Mille et mille amitiés de votre tout dévoué

E. Scribe