Gabriel Montoya

Manuscrit autographe signé, titré « L'Adieu ! », Port-au-Prince (Haïti), novembre 1893.

Poème d'amour inédit en alexandrin et rimes croisées féminines/masculines.

L'Adieu !

Ce fut une minute ineffable et divine
Et je m'en souviendrais quand je vivrais cent ans.
Elle avait à mon bras appuyé sa main fine
Et son haleine était douce comme un printemps.

La nuit venait comme elle vient sous les tropiques
Sans crépuscule ainsi qu'un large manteau noir
Qu'on jetterait du haut des cieux mélancoliques ;
Et des parfums légers rôdaient dans l'air du soir.

Et le ressouvenir des caresses passées
Eclaira nos deux fronts d'un tel rayonnement,
que nos mains tout à coup se prirent enlacées
Avec un sympathique et long frémissement.

C'en était fait, c'était la dernière entrevue
Nos amours ébauchés finissaient en plein ciel
Et de tout ce bonheur après l'extase bue
Il ne nous restait plus qu'une coupe de fiel.

J'allais partir, ainsi l'avaient voulu les choses
Et j'en avais au cœur un tel déchirement
Que j'avais arraché les pétales des roses
dont ses doigts amoureux paraient mon vêtement.

Elle ne [raturé : parlait] disait rien mais de ses yeux [raturé : deux perles] limpides
Le long de sa paupière une larme coulait,
Et je la recueillis de mes lèvres avides.
Ah ! comme elle était douce et comme elle brûlait.

Un son de cloche au loin [raturé : dégagea cette étreinte] vint troubler notre extase,
Elle eut peur et me fit un geste de la main
Et je m'arrachai d'elle et m'éloignai sans phrases.
[raturé : Hélas et ce baiser. Ah pourquoi de tels jours n'ont pas de lendemain.]
Tandis qu'elle restait debout sur le chemin.

Haïti 9bre 1893

G. Montoya