Gilles de Saint-Germain

Lettre autographe signée, sans lieu, 26 septembre 1895, 4 pages, à Eugène Ritt.

Émouvante lettre adressée au président de l'Association des artistes dramatiques dans laquelle il évoque son manque de chance comparé aux succès prodigieux d'autres acteurs : « Je vous remercie [...] mais je n'ai jamais eu de chance et je n'en attends pas - J'ai vu ces jours-ci un de nos camarades que je connais beaucoup, certes c'est un habile, un hardi, sans trop de scrupule, mais comme il est arrivé ! Il est riche, il a maison à la campagne et maison à la mer, sa poitrine est constellée de croix, son nom est écrit dans toutes les chancelleries même celle de la légion d'honneur, il signe ex-vice-doyen de la Comédie Française, fait chanter ses œuvres et écrit ses mémoires. - La voilà bien la chance ! S'il voyage, il a son compartiment retenu pour lui et sa femme, et il a pu un jour empêcher je ne sais quel Rotschild de rester en gare et lui a offert l'hospitalité. J'ai pourtant travaillé autant que lui - »

Il mentionne ensuite les souvenirs des plus grands acteurs et actrices de théâtre français : « Les souvenirs de Georges, de Rachel, de Mad Allan, d'Anaïs, de Dorval ; ceux des Vernet, des Samson, Provost, Ferville, Bocage, Frederick, Melingue, Arnal, Lepeintre, Lafont, Numa, Laferrière, Fechter etc etc. Quelqu'un qui parle du passé, qui a vu les splendeurs derrières des variétés avec Bouffé, du Gymnase, du Vaudeville, avec Rose Chérie & Farueil, des Français avec Geffroy, Mad. Desmousseaux, Aug. Brohan, Régnier... Enfin - Il paraît que c'est un tort ! Bizarre ! »

Il ajoute, entre autres, qu'il passera à Paris avec des notes sur Eugène-Narcisse Pépin qui vient de décéder.

Belle lettre dans laquelle une trentaine des plus grands noms du théâtre et de la composition sont cités : François-Joseph Regnier (1807-1885), Ambroise Thomas (1811-1896), Émile Réty (1833-1915), Émile Pessard (1843-1917), Louise Rosalie Allan-Despréaux (1810-1856), Rachel Félix (1821-1858) etc.

Jeudi 26 7^bre 95

Mon cher Président et ami

Je vous remercie de votre lettre affectueuse et encourageante, mais je n'ai jamais eu de chance et je n'en attends pas - J'ai vu ces jours-ci un de nos camarades que je connais beaucoup, certes c'est un habile, un hardi, sans trop de scrupule, mais comme il est arrivé !

Il est riche, il a maison à la campagne et maison à la mer, sa poitrine est constellée de croix, son nom est écrit dans toutes les chancelleries même celle de la légion d'honneur, il signe ex-vice-doyen de la Comédie Française, fait chanter ses œuvres et écrit ses mémoires. -

La voilà bien la chance !

S'il voyage, il a son [raturé : wagon] compartiment retenu pour lui et sa femme, et il a pu un jour empêcher je ne sais quel Rotschild de rester en gare et lui a offert l'hospitalité.

J'ai pourtant travaillé autant que lui -

M. Régnier en quittant sa classe au Conservatoire m'avait désigné pour son successeur, et m'y fit appeler, je vis M. Ambroise Thomas & M. Réty ; ils étaient pour moi, Le Fils de Régnier me repète le désir de son père, mais il me dit que la routine empécherait la chose de réussir. -

Il y a 18 mois, Mr Sarcey, Mr Pessard & d'autres me proposèrent comme professeur, je n'avais rien demandé - à personne - pas même à eux - Mr Réty m'avait assuré par lettre de sa constance comme opinion et il était pour moi... un camarade du th. Français m'a affirmé que la nomination était décidée, quand dans un conciliabule dernier entre la Dir des Beaux-Arts et Réty seuls [rature] avait remplacé ; et, l'avez-vous lu ? [----] la seule raison, je n'y crois pas - qui est celle sur laquelle j'aurais appuyé mes droits, c'est à dire mon expérience.

Les souvenirs de Georges, de Rachel, de Mad Allan, d'Anaïs, de Dorval ; ceux des Vernet, des Samson, Provost, Ferville, Bocage, Frederick, Melingue, Arnal, Lepeintre, Lafont, Numa, Laferrière, Fechter etc etc.

Quelqu'un qui parle du passé, qui a vu les splendeurs derrières des variétés avec Bouffé, du Gymnase, du Vaudeville, avec Rose Chérie & Fargueil, des Français avec Geffroy, Mad. Desmousseaux, Aug. Brohan, Régnier...

Enfin - Il paraît que c'est un tort ! Bizarre !

Oui, mon cher Président me voilà sur mon retour. Dimanche, je serai à Paris, et mercredi au comité : j'apporte qq. notes sur Eug. Pépin qui vient de mourir à Bessy-sur-Eure, c'est un de ceux qui honoraient notre profession.

Nous allons reprendre nos travaux et penser à la révision, il est bien facheux que la loterie n'alla pas. Quoique pourtant, rappelez-vous, la dernière qui a même époque semblait avortée a eu 3 mois abouti excessivement bien ! -

La révision nous occupera, et je suis heureux de voir l'opposition de Gerpré ; trop libre dans ses allures, ou fait souvent des choses qu'on regrette ; avec l'opposition ou discute, ou pèse ses arguments, ou les approfondit et ce qu'on décidé est plups réfléchi et plus sagé ; Gerpré est en effet un peu de parti pris, il refuse de se rendre à des evidences, ce dont il ne souffre plus. Il ne s'en rend pas compte, mais les tons sont tout autres, et il faut marcher avec eux -

D'ailleurs, la majorité est toujours la majorité : mais il est bien heureux d'avoir à franchir des obstacles rappelez-vous : Regnard croyait il y a un an que tout était pour le mieux parce que nous avions à encaisser une vingtaine de mille francs, et que nous en perdrions douze mille - il ne réfléchissait pas que les douze mille francs perdus étaient la rente de 400 000f tandis que les 20 mille qu'il fallait capitaliser, nous valaient seulement 600 francs annuels.

J'espère que tout le monde se porte bien chez vous. Quoique chagriné comme tous les français sans doute, d'un automne aussi chaud, et aussi dépourvu de pluie, qu'il effraie les cultivateurs, qu'il brule les choux fleurs et les pommes avortées de la Bretagne, et les vignes des gens du midi, et les fourrages et tout enfin, vous du moins vous êtes en dehors de ces univers, et ne vous en portez que mieux, je l'espère, tant mieux, et je m'en réjouis poupr vous et notre association.

Portez vous le mieux possible, je vous le souhaite de tout cœur, et en vous priant de me rappeler aux souvenirs de Madame Ritt et de votre fille adoptive.

Je vous assure encore de toute mon affection, ma femme se joint à moi :

Saint Germain