Hippolyte Buffenoir

Lettre autographe signée, Paris, 4 janvier 1900, à Émile de Girardin.

Intéressante lettre relative à la collection sur Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) héritée de son grand-père.

Émile de Girardin est le petit-fils de René-Louis de Girardin (1735-1808), maréchal de camp, issu de la noblesse des Gherardini de Florence, qui importa sur le continent le jardin anglais avec ses jardins d'Ermenonville. Le marquis de Girardin fournit à Jean-Jacques Rousseau une retraite sur sa terre d’Ermenonville et fit élever un monument funéraire sur le tombeau du philosophe dans l’île des Peupliers, située dans la parc de sa propriété.

« Girardin était engagé dans une lutte acharnée avec la cabale philosophique et considérait [le] projet [d'une édition « générale »] comme l'ultime justification de Rousseau contre ses ennemis. Si besoin était, Girardin éditerait les œuvres sans trop de rigueur, y ajoutant ici, en enlevant par là, tout pour glorifier le martyre de Jean- Jacques et assurer sa pérennité. [...] il y avait « la veuve », Thérèse Levasseur [...]. Seulement quelques heures après la mort de Rousseau, Girardin s'empara des manuscrits non-publiés qui avaient accompagné l'écrivain de Paris à Ermenonville, sous le prétexte de protéger l'héritage légitime de Thérèse.

De plus, en gardant Thérèse isolée à Ermenonville, Girardin affirmait cette soi-disante protection. Girardin possédait une série de manuscrits, ceux que Rousseau avait emportés avec lui à son dernier départ de Paris en mai 1778 ; De Peyrou [(Pierre-Alexandre Du Peyrou, riche commerçant neuchâtelois qui avait soutenu financièrement l'effort avorté de 1765 et dont la profonde dévotion à Rousseau pendant sa vie lui avait valu une page aimable dans les Confessions)] en avait une autre série, les livres, lettres et manuscrits que Rousseau avait laissés à sa garde en 1765 et que l'écrivain avait envoyés d'Angleterre en 1767 ; la collection de Moult [(Paul-Claude Moultou, ami de Rousseau)] ou comprenait des cadeaux du manuscrit original de « la profession de foi du vicaire savoyard » et de « funèbre du duc d'Orléans » que Rousseau avait écrite en 1762, plus tout ce que Rousseau n'avait pas choisi soit de brûler, soit de prendre avec lui lorsqu'il partit pour Ermenonville. Du Peyrou et Girardin se mirent d'accord pour passer au peigne fin l'Angleterre et le continent, à la recherche de tout autre manuscrit.

Ils savaient qu'ils devaient travailler rapidement, car des éditeurs, comme la veuve Duchesne, J.-F. Durand et C.-J. Panckoucke à Paris, Rey à Amsterdam, la Société typographique de Neuchâtel et J.-L. Boubers à Bruxelles, étaient en train de chercher soit pour leurs propres éditions, soit pour n'importe quelle œuvre nouvelle en soi, tout ce qu'ils pouvaient trouver, y compris des lettres. Pour couper court à cette éventualité, Thérèse, avec l'aide de Girardin, désavouait l'authenticité de tout écrit publié de son mari qui n'avait pas été officiellement reconnu par elle. » Cf. Raymond Birn, Rousseau et ses éditeurs, Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, 1993, 40-1, pp. 120-136.

Paris, le 4 janvier 1900.
15, rue des Apennins.

Cher Monsieur de Girardin,

Je vous ai écrit plusieurs fois, sans recevoir de réponse. Je me demande si mes lettres vous sont parvenues.

Je vous serais reconnaissant de me dire exactement en quoi consiste votre collection Rousseau. Je répondrai alors utilement les démarches que j'avais commencées l'été dernier, pour vous trouver un acquéreur. J'ai besoin d'une liste précise.

Le meilleur serait de me donner un rendez-vous : nous pourrions causer utilement.

En attendant, croyez à mes sentiments dévoués, et recevez pour vous et vos parents mes vœux de bonne année bien sincères.

Hipp. Buffenoir