Jean Cocteau

Manuscrit autographe signé, titré « Ainsi va le monde », sans lieu ni date, 5 pages, in-4 avec ratures et corrections.

Belle et cynique chronique sur la mode durant l'Occupation.

Ainsi va le monde

La mode éclabousse. Elle n'est jamais éclaboussée. Elle est insolente. Elle a l'insolence de l'extrême jeunesse, car elle meurt vite et donne tout son bouquet d'un coup. On imagine mal, à distance, l'aigu des modes. Louis XIV, Louis XV, Louis XVI, autant de poncifs de théâtre. Chaque mois, chaque semaine, chaque jour, démodait la veille, apportait par l'entremise de circonstances ou de l'excentricité d'un homme, d'une femme, cette rupture subite que la province ne pouvait suivre et qui ouvre brutalement l'œil naïf de de madame de Bargeton et de Lucien de Rubempré sur leurs ridicules, dans la loge de la marquise d'Espard.

[...]

L'allemand qui disait à une femme : « que metteriez vous sur votre tête si vous étiez victorieux ? » fait preuve d'un manque extrême de psychologie féminine.

[Dans un pays victorieux, la femme ne se soucierait pas de sa toilette. Sans doute la crise qui succède aux victoires coûteuses lui conseillerait-elle le style sobre. mais en face de la morgue et de la fausse politesse allemandes, par quoi répondre, sinon par un silence moqueur qui s'exprime en chapeaux, en coiffures, en robes, en écharpes, en charmants explosifs de toutes sortes ?

[...]

[Ainsi, grâce à l'empêchement où s'excite tout ce qui invente, l'esprit qui voulait tuer le nôtre nous a ouvert des routes nouvelles. Ainsi va le monde. Et la mort est sur ceux qui refusent de le comprendre. Du haut au bas de l'échelle.

Une mort, pire que la mort.

Jean Cocteau