Maurice Paléologue

Lettre autographe signée, Hyères, 17 mars 1926, 2 pages in-4° sur papier à en-tête de La Polynésie (Hyères), à Gabriel Hanotaux.

Belle lettre amicale suite à un séjour passé chez l'ancien ministre des Affaires étrangères à Roquebrune. Gabriel Hanotaux résidait alors à L'Olivette dans une avenue qui porte aujourd'hui son nom.

Il annonce également la présence de Paul Valéry avec lequel il philosophe : « […] Paul Valéry est encore ici pour quelques jours. Nous devisons à la manière de Platon, le long du rivage ; c'est lui, Platon. […] »

L'ancien diplomate termine en remarquant que « l'imbroglio de Genève [est] terminé ; c'est le complet échec que vous aviez pronostiqué. » Il s'agit là du débat sur l'élargissement du conseil de la Société des Nations où se trouvaient, à la tête de la délégation française Aristide Briand, Paul-Boncour et Louis Loucheur. Ce débat fait suite à la signature des accords de Locarno qui visent à assurer la sécurité collective en Europe et les frontières de l'Allemagne.

L'imbroglio en question est due à l'intransigeance de l'Allemagne face à l'entrée de la Pologne. En effet, l'ajournement de la candidature polonaise permettait à l'Allemagne, une fois au conseil, d'opposer son veto à l'entrée de la Pologne ou de n'accepter celle-ci qu'en échange de concessions importantes. Ce conflit redouté risquait de diviser profondément la S.D.N.

« Il fallut attendre le 10 septembre 1926, pour voir les Allemands entrer officiellement à la Société des nations, une entrée certes fort remarquée, sous les applaudissements des délégués de tous les États membres et sous le regard enthousiaste de la presse internationale et du public, massés dans les galeries de la salle de la Réformation où se tenait la VIIe assemblée générale ordinaire de la SDN. Beaucoup de contemporains voulaient alors voir dans cet événement la promesse d’une pacification durable des relations intereuropéennes […] » (Jean-Michel Guieu, « Les Allemands et la Société des nations (1914-1926) », Les cahiers Irice, vol. 8, no. 2, 2011, pp. 61-90.)

17 mars 1926.

Mon cher ami,

Quelle charmante impression m'a laissée mon trop bref séjour à Roquebrune ! Le cadre pittoresque, le magnifique horizon de mer, la Corse entrevue ou devinée dans les arrière-plans, le confort matériel si ingénieux, nos libres, savantes & confiantes causeries, enfin la cordialité de votre accueil, tout cela me compose un souvenir parfait, dont j'ai à cœur de vous remercier.

Le décor de Giens est assez différent du vôtre ; le littoral y est beaucoup plus déchiqueté.

Le paysage marin, peuplé d'îles, ne manque pas de grandeur ; mais il n'a pas le caractère abrupt & altier de vos belles roches.

Paul Valéry est encore ici pour quelques jours. Nous devisons à la manière de Platon, le long du rivage ; c'est lui, Platon.

Voilà donc l'imbroglio de Genève terminé ; c'est le complet échec que vous aviez pronostiqué.

J'espère que Madame Hanotaux voudra bien partager avec vous tous mes affectueux & reconnaissants souvenirs.

Paléologue