Nadar

Lettre autographe signée, Marseille, 21 octobre 1899, 3 pages in-8° sur papier à son chiffre et adresse, à Léon Daudet.

Dans cette belle lettre empreinte de nostalgie, le célèbre photographe remercie chaleureusement son destinataire et suggère humblement que l'ajout d'une ligne de rappel pour son livre Quand j'étais photographe pourrait être pertinent pour l'éditeur.

Quand j'étais photographe, qui venait de paraître chez Ernest Flammarion, est un recueil de quatorze récits qui dévoilent la vie du photographe Nadar, mêlant souvenirs d'atelier, aventures, amusements et offrant une plongée dans l'épopée des grandes découvertes du XIX^e siècle, dont la photographie.

Nadar termine sa lettre en évoquant sa femme, qu'il surnomme affectueusement « Madame Bonne » et partage ses préoccupations pour elle, exprimant le désir de recevoir des nouvelles de celui qui ne lui écrit plus. Enfin, il termine avec une réflexion sur le fait d'avoir atteint l'âge de quatre-vingts ans et l'ironie d'avoir été touché par ce cap dans sa propre vie.

Ernestine Constance Lefèbvre, femme de Nadar, joua un rôle crucial dans la famille Tournachon en soutenant financièrement son mari. Son testament témoigne des difficultés financières de la famille et accorde à son fils Paul le droit de gérer l'aspect photographique. En 1887, pensant son fils mort dans l'incendie de la salle Favart, elle est atteinte d'hémiplégie. Nadar déménage alors à Marseille, puis vend son studio de photographie à Gracieuse Germaine Sallenave. Ernestine décède en 1909, suivie de Nadar en 1910, profondément affecté par sa disparition.

21 8^bre 99.

Mon très bon cher,

Dans le tohu bohu des besognes multiples et sans cohérences où mes 80 ans se demelent du moins mal qu'ils peuvent, entassant derrière moi [----] de faillir et regrets sinon remords, j'en suis réduit à me demander si je t'ai seulement envoyé un merci pour ta tant cordiale présentation de mes pauvres eloquences ?

Si ce ne fut fait, n'accuse pas ma méconnaissance, mais avec l'indulgence que tu héritas du tant regretté parti, pardonne à mes décrépitudes.

Et si je ne t'embête au dela du vraisemblable, ne crois-tu pas que, pour l'éditeur, - l'éditeur seul, crois-le, - il ne serait peut-être pas indifférent que tu ajoutasses une ligne pour rappeler et souhaiter à ce « quand j'étais photographe » le très immerité mais encore obstiné succès de son si vieil ainé « quand j'étais étudiant » - Ce Mathusalem intuable, un de ces fumerons qui s'entêtent à [rature] fumer toujours, sans flamber jamais ?

Mets aux pieds de ta chère maman mon plus affectueux et admiratif respect, dis tous nos très tendres souvenirs à ton si aimable frère et à l'exquise mademoiselle qui doit être devenue une bien grand mademoiselle, - et pensez quelque fois à nous comme si souvent nous pensons à vous.

Ton
Nadar

Notre surchérie madame Bonne continue bien heureusement à se maintenir grâce à la piété admirable qui me la couve et conserve depuis ces quatorze douloureuses années. Mais combien de fois nous avons peine de la voir absorbée, morne, - sans nouvelles de celui qui ne lui écrit même plus..

Nos petites affaires, satisfaisantes, au parfait et modeste étage de mes présentes ambitions.

Renvoie vite l'épreuve à Flammarion, rue Racine 20. - Ca brûle !

C'est drôle, tout de même, qu'on ait quatre vingts ans ! - et que ce fût sur moi que ça tombe...